Chapelle des Carmélites
> 25 août

Trio pour voix, violon et violoncelle

Photographies par J-J. Ader
Sous le titre très englobant de Terre, nature et liberté, l’inventive Musique en dialogue aux Carmélites poursuit, dans la très inspirante chapelle des Carmélites de Toulouse, ses associations musicales et littéraires en mariant des œuvres pour violon et violoncelle de Ravel, Kodaly, Glière, Haendel et Philippe Hersant et des poèmes de Lamartine, Ady, Aragon, Khalil Gibran dits par le vibrant William Mesguich. L’association pourra sembler parfois un peu artificielle, tant telle œuvre, celle de Ravel, par exemple échappe à la classification par thèmes lyriques. Mais original, superbement mis en valeur, l’ensemble, musique et littérature mêlées, compose un programme d’une belle exigence. Elsa Grether qui a enregistré un disque Prokoviev célébré par la critique et Aurélien Pascal dont nous avons chroniqué le splendide All’ungaresse ici même manifestent à l’évidence la même conception de l’interprétation: une technique souveraine au seul service de la partition, sans interposer d’états d’âme personnels. La virtuosité au seul bénéfice de la sobriété et de l’expression.
Après une ode à la la Terre natale d’un auteur anonyme et lancée avec gravité par le comédien, résonnent en écho deux des trois mouvements du nostalgique Duo pour violon et violoncelle de Zoltan Kodaly, écrit au début de la Première guerre mondiale, à l’heure où le compositeur hongrois était prisonnier en Autriche. S’y déploie un lyrisme discret et on y entend les échos des chansons populaires recensées dans la campagne avec Bela Bartok. Sourd une tristesse digne, qui ne se départ pas d’un sentiment d’émerveillement devant la vie, la nature et leurs splendeurs. Une fougue salvatrice anime le dernier mouvement où les deux interprètes font assaut de vigoureuse ardeur. Un beau texte du poète hongrois André Ady (1877-1919) prolonge l’émotion que soutient la discrète Berceuse (ré-offerte en bis) du trop rare compositeur russe Reinhold Glière (1874 – 1956).
Ravel évoquait en ces termes sa Sonate pour violon et violoncelle composée en 1920: «Le dépouillement y est poussé à l’extrême. Renoncement au charme harmonique; réaction de plus en plus marquée dans le sens de la mélodie». Les indications, tour à tour Allegro, Très vif , puis Vif avec entrain, leurrent sur l’impression d’ensemble donnée par l’œuvre et sa magistrale exécution. L’absence en effet de charme harmonique va de pair avec une certaine âpreté, peut-être un sentiment de colère. L’étonnante combinaisons de sonorités et de rythmes (surprenants pizzicati alternés pour les deux instruments au II) met en éveil constant la réception de l’auditeur qu’avive la richesse d’une virtuosité incontestable, mais concentrée, affûtée, dépourvue de pathos et d’affects, même si le troisième mouvement Lent atteint, ainsi joué, des sommets d’expressivité. L’Aragon d’Elsa est-il le poète qui convient le mieux pour entrer en correspondances avec cette œuvre? Malgré la qualité des textes choisis et leur subtile récitation, on reste dubitatif.
Philippe Hersant, dont on sait l’abondante production de musique de chambre, a composé le duo Porque llorax (2012), d’après une élégiaque mélodie séfarade qu’on a entendue au disque par Hespérion XXI et Jordi Savall. Alors que le violoncelle recueilli d’Aurélien Pascal développe largement le thème souple et entêtant, le violon loquace et aiguisé d’Elsa Grether scande des accords virtuoses. On laisse le grand Lamartine et son évocation de Milly entrer en résonance avec une transcription de la noble et lumineuse Passacaille de Haendel pour couronner un récital d’une belle exigence intellectuelle et sensible, porté par un trio de haute tenue.

Jean Jordy

Zoltan Kodaly, vidéo:
https://www.dailymotion.com/video/x6cabgx
Publié le 08/09/2019 à 18:13, mis à jour le 09/09/2021 à 19:45.