Nocturne

Œuvres pour harpe, violoncelle et voix
Nocturne. Pages de Reynaldo Hahn, Tchaïkovski, Schumann, de Falla, Villa-Lobos, Saint Saëns, Fauré et Silvan Loher. Aurélie Noll, harpe, Maria Cristina Kiehr, soprano, Yolena Orea Sanchez, violoncelle. CD Solo Musica.

Impulsé et coordonné par Aurélie Noll, ce groupement de vingt pages de compositeurs divers, dont un contemporain, vaut, en dehors de leurs qualités propres, pour l’alliance d’artistes venus d’horizons différents, pour les rencontres musicales fédérées autour d’un projet commun. Les interprètes féminines associent deux instruments originalement appariés (la harpe, le violoncelle) et la voix, avec l’apport ponctuel d’autres timbres. La célébration des Nocturnes confère aux mélodies et aux romances élues le climat intime et mystérieux des affinités électives. A l’auditeur de se laisser séduire par ces moments musicaux furtifs, ces échappées de quelques minutes vers des lointains intérieurs, dont Hahn à l’orée du CD est le guide affable et Fauré avec son Secret final l’émouvant passeur.
Une harpe aux belles harmoniques dore de ses accords aériens la page de Hahn écrite initialement pour le piano; les vers du Nocturne de Jean Lahor révèlent la voix pure de Maria Cristina Kiehr. On regrette vite une certaine placidité dans le Paysage que le poème de Théophile de Viau A Chloris ne parvient pas à éveiller. L’interprétation vocale reste belle mais extérieure, trop désincarnée tant pour Hugo que pour Verlaine qui ferment le florilège Hahn. La fadeur de certains vers, l’émolliente pâleur des émotions, une passivité marquée ont pour effet de refroidir, blanchir, épurer à l’excès une voix éthérée dont le charme n’opère que ponctuellement. A contrario, le violoncelle d’Yolena Orea-Sanchez sait donner aux pages de Tchaïkovski et de Schumann couleurs et mystères. Entre épanchements lyriques frissonnants émanant des diverses formations de chambre (belle Romance de Saint Saëns) et clarté froide de la voix, s’égrènent des climats peu changeants qu’illuminent faiblement les pâleurs de la lune et des états d’âme vaporeux. La transcription de Psyché de Manuel de Falla malgré les ondulations soyeuses de sa danse n’exalte guère le discours. On retrouve dans l’interprétation des Fauré les mêmes défauts d’engagement sensible que précédemment. La pièce Il mare morto (2023) élaborée par le musicien suisse Silvan Loher né en 1986 intéresse d’abord par la juxtaposition de trois poèmes (le premier norvégien, le deuxième verlainien, le dernier italien), ensuite par le climat d’étrangeté et de rêve que la voix de la soprano sait habiter avec plus d’éloquence et la richesse des sonorités confiées au duo instrumental.
«Rêvons, c’est l’heure / Un vaste et tendre / Apaisement / Semble descendre / Du firmament / Que l’astre irise /», murmurent en harmonie Verlaine et Fauré. Mais «l’heureuses exquise» trop monocorde que nous invite à partager l’album manque de sensualité et de variété. «Tendre et avec expression» souhaite Schumann pour une des pages de musique de chambre ici enregistrées. L’ensemble de l’album, malgré la qualité des interprètes, n’obéit que partiellement à son vœu.

Jean Jordy
Publié le 12/02/2024 à 19:43.