Weinberg et Dutilleux

Concertos pour violoncelle
Concertos pour violoncelle de Weinberg et Dutilleux. Edgar Moreau, violoncelle, WDR Sinfonieorchester direction Andris Poga. CD Erato.

Weinberg (1919 -1996) dont l’œuvre est immense mais sous-estimée a composé sept concertos, dont celui pour violoncelle en Do mineur opus 43, écrit en 1948, amplifié dans les années 50 et créé en 1957 par Rostropovitch. Edgar Moreau le met au programme de son dernier enregistrement, couplé avec le fameux «Tout un monde lointain» de Dutilleux (1916 – 2013) créé en 1970 par le même Rostropovitch. Et ce mariage, sous l’archet de l’interprète français s’avère somptueux.
Le Concerto de Weinberg s’ouvre par un Adagio confié d’emblée au violoncelle: sa beauté triste saisit toujours l’auditeur. Le lyrisme grave et douloureux s’épand largement à l’orchestre avant que des rubans de musique chantante n’infiltrent un discours in fine asthénique. La relation, soudée lors de précédents concerts, entre le soliste recueilli et le chef précis et nuancé crée une harmonie aussi puissante qu’émouvante. Même intelligente entente dans les autres mouvements, un Modérato enchainé, souple et rehaussé par des cuivres audacieusement colorés évoquant Mahler, un Allegro dont l’ardeur cache mal un malaise - Moreau en souligne le caractère inquiet ou sarcastique - et un final contrasté. L’ensemble cohérent construit la complexité d’un musicien partagé: la Cadenza du III dont le soliste donne une version pénétrée traduit superbement à elle seule la force de cette musique déchirée.
Le Concerto pour violoncelle de Dutilleux porte, on le sait, le titre «Tout un monde lointain». De même, les cinq mouvements proclament par des citations liminaires du poète des Fleurs du Mal l’admiration du compositeur pour Baudelaire. L’interprétation de cette rêverie lyrique demande en effet un sens de la poésie et du rythme, une palette de couleurs qui renvoie aux Correspondances de l’écrivain. Edgar Moreau qui s’en étonnera? est le virtuose de rêve de cette partition mystérieuse et envoutante. A la tête du WDR Sinfonieorchester, le chef letton Andris Poga n’est pas moins coloriste, faisant vibrer une formation flexible, large et ample, extatique parfois, pour reprendre les indications de Dutilleux. L’Enigme initiale et son dialogue entre le violoncelle et l‘orchestre distillent des sonorités étrangement mystérieuses. Regard dans sa langueur obsédante fascine. Les Houles confient à un interprète virtuose et à un orchestre chatoyant l’évocation de l’ondoiement sensuel d’une chevelure féminine: «Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève! / Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve/ De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts». Les Miroirs par un phénomène savant d’échos sonores imposent entre chef et soliste une communion qui dit à la fois la plénitude et la transparence. L’Hymne final impose une forme d’alacrité propulsée avec une splendide complicité.
Un enregistrement convaincant de bout en bout où se manifeste la fusion de deux tempéraments musicaux exceptionnels. La prise de son en exalte la richesse.

Jean Jordy

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Publié le 12/12/2023 à 20:04, mis à jour le 15/01/2024 à 19:14.