Halle aux Grains
> 10 novembre

Jakub Josef Orlinski

Beyond
Photographie par Jiyang Chen
Jakub Josef Orlinski, contre-ténor, Il pomo d’Oro.

Unanimement salué par la critique comme un des grands contre-ténors actuels, Jakub Orlinski est un personnage étonnant. A côté de sa passion pour la musique baroque, qui lui offre un répertoire très intéressant, parfois même des inédits, à l’instar de ce qui se passe pour Cecilia Bartoli ou Philippe Jaroussky, souvent présents aux Grands Interprètes pour le plus grand bonheur des spectateurs, il pratique à un niveau élevé la break dance, qu’il associe à la musique dans une mise en espace originale de ses spectacles. J’entendais quelques rares spectateurs exprimer une légère réserve, «mais c’est du music-hall!» et j’ai envie de répondre en souriant «et alors!»
Le répertoire choisi, des airs du XVIIe italiens composés par les meilleurs, est très intéressant mais pourrait rebuter quelques-uns par sa relative austérité. Or, en optant pour quelques clins d’œil, le chanteur leur donne une vie qui correspond à ce que l’on attendait à l’époque, c’est-à-dire un spectacle complet. Il y avait des danseurs, dans des figures certes plus classiques, mais dont le but était le même, ne pas s’enfermer dans le drame ou la mélancolie.
Dans la période sombre que nous traversons, cette approche fait du bien et certains des airs sont exceptionnels, ainsi E por io torno qui, tiré de L’incoronazione di Poppea de Monteverdi, dont on entend aussi le très beau Voglio di vita uscir SV 337. Une somptueuse Passacaglio de Marini fait la transition avec le célèbre Amarilli mia bella de Caccini, suivi de Cosi mi disprezzate de Frescobaldi, la complainte désespérée de l’amant bafoué.
On entend ensuite la sonate pour deux violons en fa majeur de Johann Caspar von Kerll, un élève de Frescobaldi. Elle se présente comme une sorte de duel entre deux remarquables violonistes. C’est l’occasion d’apprécier le formidable talent d’il Pomo d’Oro, qui assure également des transitions plus ou moins improvisées entre les différentes composantes du programme.
Suit une rareté due à une des rares femmes compositrices du XVIIe, Barbara Strozzi, dont on écoute L’Amante consolato. violonistes On passe à un air tiré de l’opéra Pompeo Magno de Francesco Cavalli, un des grands maîtres de la période: Incomprehensibil nume, avant de poursuivre avec un extrait La filli (la moglie del fratello): misero core… Si, si, si sciolga si… Dolcissime catene. Du même , on écoute sur le mode humoristique Quanto più la donna invecchia, plus elle désire son mari et Son vecchia, patienza, tous deux tirés de l’Adamiro. C’est joyeusement cruel
Plus moral (!), d’Antonio Sartorio, La certezze di sua fede, extrait de Antonino et Pompeianio. Pour finir, on écoute Lungi dai nostri cor, extrait de La faretra smarrita (le carquois égaré) de Sebastiano Moratelli. Le public applaudit avec enthousiasme la prestation. Bon prince, le chanteur offre trois bis de la même eau, quelques danses.
Beau récital qui illustre les limites de la découverte par le biais d’enregistrements. Le CD qui correspond au programme est en fin de compte plus plat et la musique en paraît moins intéressante. Le spectateur tire grand profit du live, car en plus des qualités vocales, on a la mise en espace, la perception de la complicité avec l’orchestre, bref une atmosphère construite et voulue par les artistes.

Danielle Anex-Cabanis
Publié le 22/11/2023 à 12:40.