Hommage à Blanche Selva

Diane Andersen, piano
Hommage à Blanche Selva. Œuvres de de Bréville, Ropartz, Gauthiez, Migot, d’Indy. Diane Andersen, piano. CD CIAR classics
Tout apparait original dans ce CD de musique française pour piano. L’interprète née à Copenhague en 1937 et qui a fait l’essentiel de sa carrière en Belgique, malgré son parcours de pédagogue, de soliste, de chambriste et ses enregistrements, n’est pas la pianiste la plus active du circuit des concerts. Celle à laquelle elle rend ici hommage est une inconnue pour nombre de mélomanes trop peu curieux. Les œuvres pour piano seul réunies sont rarement jouées – figurent même deux premiers enregistrements mondiaux – et certains des compositeurs voient trop de leurs pages ignorées. Publié sous l’égide du Centre international Albert-Roussel dont «le but est d’intensifier à travers le monde le rayonnement de l’œuvre d’Albert Roussel» et d’élargir la connaissance de la culture musicale française et flamande des XIXe et XXe siècles, cet enregistrement singulier rend hommage à Blanche Selva (1884-1942), présentée comme la «mythique égérie du piano français». Le livret d’accompagnement développe en deux pages denses le parcours de cette musicienne hors pair qui découvre avec enthousiasme à 14 ans l’œuvre de Vincent d’Indy dont elle devient l’élève assidue, l’amie fidèle, l’interprète active. De nombreux compositeurs, dont ceux qui figurent ici et qui ont partie liée avec la célèbre Schola Cantorum, lui ont dédié des œuvres. De Pierre de Bréville, Diane Andersen a choisi Stamboul, rythmes et chansons d’Orient (1895), une première au disque. Quatre tableaux évoquent un Orient sensuel et troublant. Dans Phanar, nom d’un quartier de la ville, la pianiste traduit avec conviction les énergiques vibrations d’une danse. Et Galata fait tournoyer arpèges et pirouettes ou chanter le clavier pour rendre compte de l’intensité vitale de ce lieu de communication emblématique. Tout est ici rythme et vitalité. Par un habile contraste, le Nocturne 2 de Guy Ropartz, joué avec une subtile sensibilité, étend sa complexe fluidité sur un paysage nocturne raffiné. On découvre une brève page, autre première mondiale au disque, de Cécile Gauthiez, disciple de Blanche Selva: elle plonge l’auditeur dans un climat festif, léger et pittoresque de musique à la fois populaire et savante. Georges Migot a écrit un ensemble de miniatures réunies sous le titre ravélien du Tombeau de Dufault, joueur de luth. Diane Andersen sait leur donner couleurs, grâce, élan, élégance. Comme il se doit, Vincent d’Indy clôt ce discret cortège par une Fugue entourant un Thème varié introductif et une Chanson: on aime le charme et l’inventivité de cette suite qui allie, comme toutes pages que l’on entend sous les doigts de Diane Andersen, la simplicité et la technique, la rigueur et la distinction.
Cet hommage à une figure musicale majeure de la vie musicale française méconnue impose la singularité de son programme et la clarté d’une interprétation respectueuse et lumineuse. Une plus grande audace peut-être, un engagement un rien moins sage eussent rendu ses pages plus attrayantes encore.

Jean Jordy
Publié le 01/11/2023 à 16:33.