Clara Notre Étoile

Hommage à Clara Schumann
Lieder de Robert et Clara Schumann, de Brahms. Alice Ferrière, mezzo-soprano. CD Cascavelle.

Les enregistrements consacrés aux compositrices fleurissent et on se réjouit de cette reverdie. Souvent dans l’ombre d’une figure patriarcale (époux, frère, professeur), elles sont pendant longtemps restées ignorées, méconnues, inaudibles. La postérité répare un peu l’injustice. Ce disque y contribue.
Chacun en son temps a salué la prodigieuse virtuose qu’était Clara Schumann, inlassable défendeur des œuvres de son génial mari. Les voici réunis ici avec l’ami Brahms dans un bouquet splendide de lieder. Remercions pour cette fervente association les trois interprètes de cette anthologie, Alice Ferrière, mezzo-soprano, Nicolas Royez au piano, Pierre-Henri Xuereb à l’alto. Lauréate en 2016 de l’Académie de musique française Michel Plasson, la chanteuse a une sensible inclination pour la mélodie et son interprétation des trois compositeurs témoigne de cette appétence. L’album commence par cinq lieder de Robert dont la Dédicace sur un poème de Ruckert dévoile la voix mélodieuse et chaude d’une chanteuse au phrasé élégant. La délicate Fleur de Lotus sur un texte de Heine paraît un peu appliquée, mais subtile et touchante. Ces deux lieder, précise l’interprète dans le livret, «sont extraits du cycle Myrthen, cadeau de fiançailles pour Clara». Car c’est bien autour de la figure lumineuse et chère de Clara que se construit le florilège. La chanteuse a choisi Six lieder opus 13 sur des élégies de Heine dont Clara respecte la simplicité et le lyrisme discret. Alice Ferrière en exalte le charme mélancolique avec la discrétion et le sens des nuances qui conviennent à cette musique de l’âme blessée. Sie liebten sich beide, bref récit d’amours devinées, frôlées et tues qu’accompagne un piano pudique et raffiné, frissonne sans pathos. Et les deux complices s’animent dans un Liebszauber qui chante la tendre magie de l’amour se dissipant dans un éloignement. Cet ensemble témoigne d’une profonde compréhension par les interprètes de la sensible subtilité d’une musique, qui loin de peser sur les vers, en développe les virtualités poétiques. Quatorze lieder de Brahms ferment l’album. Empruntés à différents poètes, les textes choisis avec pertinence établissent les justes correspondances entre les trois compositeurs. Dans l’entretien inséré dans le CD, Alice Ferrière éclaire la place centrale – la treizième sur les 24 lieder – qu’occupe la mélodie Meine Liebe ist grün écrite sur un poème de Felix Schumann, » le dernier enfant de Clara et de Robert, et filleul de Brahms». Son interprétation y revêt un engagement et une émotion particuliers qui convainquent pleinement l’auditeur. La contribution ponctuelle de l’altiste Pierre-Henri Xuereb, ainsi dans le merveilleux «Désir apaisé» de Brahms, celle constante et inspirante de Nicolas Royez, l’interprétation à la fois assurée et retenue d’Alice Ferrière, la composition même du programme s’harmonisent pour créer un moment musical qu’on a plaisir à découvrir et à revisiter.

Jean Jordy
Publié le 19/09/2023 à 19:45, mis à jour le 19/09/2023 à 19:48.