Secret Nights

Sonja et Astrid Leutwyler, Benjamin Engeli
Pièces de Reinecke, Chaminade, Saint Saëns, L. Boulanger, Schoeck, Schulhoff, Beach, Safaian pour mezzo soprano, violon et piano. Sonya Leutwyler, mezzo, Astrid Leutwyler, violon, Benjamin Engeli, piano. CD Solo Musica.

Les «Nuis secrètes» explorées comme à mi-voix par trois interprètes jeunes et talentueux ont bien du charme. Les mélodies réunies ici sous un thème conventionnel mais porteur sont peu célèbres, rarement jouées ou enregistrées. La composition même du trio qui les visite souligne l’originalité d’un répertoire qu’on aurait tort de croire désuet et qui s’avère plein de mystères, d’ombres fleuries, ou plus ténébreuses. Des vingt trois étoiles, parfois trop pâles, brillant dans ces nocturnes, on choisira quelques scintillements. Carl Reinecke (1824-1910) est un compositeur allemand négligé, sans doute parce que trop modeste. Les cinq pages que nous découvrons témoignent d’une intégrité et d’une sensibilité dignes de réhabilitation. La voix étonnamment claire de la mezzosoprano suisse Sonja Leutwyler s’y déploie, révélant une ligne de chant bien conduite et une simplicité d’expression que ponctue finement l’accompagnement de sa sœur au violon et de Benjamin Engeli au piano. La Danse italienne séduit particulièrement. Les mélodies françaises de Cécile Chaminade et de Saint-Saëns bénéficient d’une prononciation française distinguée, mais un peu molle. Vers, musique et interprétation n’évitent pas toujours la fadeur. Le Nocturne de Lili Boulanger pour les seuls piano et flûte joué avec tact et subtilité mêle les discrètes réminiscences de Fauré et l’influence de Debussy. Othmar Schoeck (1886-1957) est un compositeur suisse connu pour son opéra Penthesilea. Les trois lieder ici retenus sur des poèmes de Heine allient pudeur et profondeur et comme tels s’accordent parfaitement aux qualités expressives du trio. Les compositrices sont dans cet album largement sollicitées et fêtées. On peut entendre en plus de celles de Chaminade, d’une grâce exquise, six pièces vibrantes d’Amy Beach (1867-1944) dont un Rendez-vous bien nostalgique et une Stella Viatoris exaltée. Les trois chants d’Erwin Schulhoff, compositeur né à Prague (1894) et mort en Bavière en 1942 dans un camp de prisonniers sont marqués par une audace harmonique et une douleur secrète dont le trio sait tendre l’émotion. L’album met aussi à l’honneur le compositeur iranien Arash Safaian né en 1981, avec deux lieder dont on savoure le pouvoir hypnotique. Le cosmopolitisme des musiciens réunis n’est pas le moindre attrait de cet enregistrement où le trio pour voix, piano et violon ou le duo pour les deux instruments deviennent les porte-parole fervents de voix oubliées qui se sont tues et qui reprennent vie. Ils chantent en un lyrisme pudique des états d’âmes ou des scènes d’ambiance (Stimmungsbilder) dont la juxtaposition manque de vigueur et de variété, mais pas de sensibilité et de grâce. Dans ce florilège un peu composite, il convient de souligner la complicité des trois interprètes qui semblent ne faire qu’une seule et même voix. C’est sans doute le plus précieux compliment que l’on puisse adresser à un ensemble de musique de chambre.

Jean Jordy

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Publié le 26/06/2023 à 20:06.