Festival de Peralada
> 29 juillet

Massenet Thaïs

Photogaphies Toti Ferrer
Sans être un opéra rarement joué, Thaïs de Massenet reste une œuvre majeure du compositeur peu présente sur nos scènes. L’occasion de l’entendre en version concert au Festival de Peralada (Espagne) est belle, surtout quand l’affiche promet autant: Ermonela Jaho, exceptionnelle Madame Butterfly en 2017, chante la courtisane gagnée à Dieu, Placido Domingo, Athanaël l’ermite vertueux gagné par le désir. Le chef français Patrick Fournillier, spécialiste des opéras de Massenet, à la tête du magnifique Orchestre du Teatro Real de Madrid fait miroiter une partition raffinée, faite de contrastes saisissants entre sensualité et élévation spirituelle, exotisme de bon aloi et légèreté, fluidité, transparence. La célèbre Méditation bénéficie de l’interprétation inspirée, lyrique de Vesselin Demirev, premier violon de l’orchestre. Tous les talents semblent donc réunis pour faire de cette soirée un moment musical intense. Las! Placido Domingo déçoit. Fatigue passagère, rôle (de baryton) inapproprié, usure de l’instrument, calendrier trop chargé? On le constate avec tristesse: cet Athanaël que son combat salvateur épuise, malgré des accents héroïques, enfiévrés, ne parvient qu’imparfaitement à rendre compte de la passion torturée du personnage. La prononciation souvent déficiente de la langue française, une surexposition de la voix parfois couverte par un orchestre excellent mais qui s’impose trop, révèlent les limites ponctuelles de celui qui reste l’immense ténor à juste titre adulé. Le public par affection, vénération même pour son parcours musical ovationne la star et on peut s’associer par respect à cet hommage que ne saurait ternir la prestation d’un soir. L’ineffable Butterfly de l’année dernière ici même, Ermonela Jaho est sa Thaïs. On sera indulgent pour son articulation perfectible du français, eu égard aux difficultés techniques de la partition et à la hauteur de la tessiture sollicitée. Car musicalement, l’interprétation de la soprano albanaise s’avère exceptionnelle. Longueur du souffle, puissance de la voix, beauté du timbre pur, cristallin, pianissimi de rêve, tenue de la ligne, maitrise technique, beauté du son, élégance ravissent, subjuguent. Depuis le retrait de Renée Fleming, elle s’avère à n’en pas douter la Thaïs du moment.
On avait lu beaucoup de bien du ténor Michele Angelini. C’était trop peu. Dans la lignée de Florez, il émane de sa voix de rossinien accompli un charme, une puissance, une distinction, une aisance que renforcent une prononciation parfaite et une présence scénique indéniable. C’est la révélation de la soirée. Le Capitole serait bien inspiré de l’engager (dans Rossini, Mozart, Donizetti… ) avant qu’il ne devienne inaccessible. Lydia Vinyes-Curtis, Elena Copons et Sara Blanch composent un trio frivole fin et subtil qui rend justice à l’humour trop rarement perçu de la partition de Massenet.
Les Chœurs et l’Orchestre du Teatro Real de Madrid sous la conduite experte de Patrick Fournillier parviennent à recréer les climats différents de l’œuvre avec la variété de timbres, de couleurs, de rythmes qui font de cette œuvre singulière un authentique chef d’œuvre, parfois aride, mais dont les splendeurs et les finesses émerveillent toujours.

Jean Jordy
Publié le 22/08/2018 à 12:53, mis à jour le 07/10/2019 à 07:00.