Invitation au voyage

Mélodies françaises
Stéphanie d’Oustrac, mezzo-soprano
Pascal Jourdan, piano
CD Editions AMBRONAY

Disons le tout de suite, Stéphanie d’Oustrac est une artiste au talent complet, abordant, avec le même bonheur, l’opéra baroque et classique ou l’opérette. Cette fois, elle nous éblouit autant qu’elle nous charme par son dernier album, «Invitation au voyage», entièrement consacré à la mélodie française. Le choix des compositeurs peut surprendre, mêlant ainsi des œuvres célèbres de Henri Duparc (1848-1933) et de Claude Debussy (1865-1918) sur des poèmes de Charles Baudelaire et de Stéphane Mallarmé avec des œuvres du répertoire de la mélodie beaucoup plus confidentielles écrites par Jacques de la Presle (1888-1969), dont notre artiste est l’arrière petite nièce, Lili Boulanger (1893-1918) ou encore Reynaldo Hahn (1874-1947).
La mélodie, c’est une école, un art; interpréter la mélodie, c’est rendre le poème, point de départ de la composition musicale, le plus intelligible et musical possible, sans les emphases excessives auxquelles se livrent trop souvent les artistes lyriques qui s’essaient à la mélodie et qui, de ce fait, la desservent. Stéphanie d’Oustrac évite cet écueil et nous livre une interprétation somptueuse de ce répertoire, à la fois sobre et envoutante, jouant des multiples couleurs vocales de sa magnifique voix, très homogène, de mezzo-soprano qu’elle maîtrise parfaitement (vibrato, legato). Ses pianissimos sont tout simplement sublimes et sa diction toujours parfaite. «Union parfaite de la mélodie et des paroles» écrit un critique musical, contemporain de Duparc, à propos de ses mélodies, et c’est à cette union parfaite que nous invite ici Stéphanie d’Oustrac. Sa voix lumineuse éclaire avec bonheur «les voluptés calmes, au milieu de l’azur, des vagues, des splendeurs» de «La vie antérieure», célèbre poésie de Charles Baudelaire, sublimée par la mélodie de Duparc. Notre interprète nous en livre toute la richesse de l’expression harmonique, son interprétation de «L’invitation au voyage» est un pur bonheur, comme l’est également celle des mélodies de Claude Debussy.
Cet enregistrement est aussi l’occasion de découvrir des œuvres plus rares, notamment celles signées Jacques de la Presle, premier grand prix de Rome (1921), compositeur particulièrement reconnu pour ses mélodies, toujours écrites dans un style soigné et délicat qui n’est pas sans rappeler celui de Gabriel Fauré, à qui il vouait une profonde admiration. Régulièrement interprétées après la dernière guerre, notamment par le baryton Camille Maurane, grand spécialiste de la mélodie française, il est désormais rare de les entendre et c’est ici un bel hommage rendu à ce compositeur injustement méconnu. Ici encore, l’interprétation de Stéphanie d’Oustrac, tout en nuances, est tout aussi convaincante. Avec un même plaisir, on écoutera les mélodies de Lili Boulanger ainsi, qu’en clôture d’album, celles de Reynaldo Hahn, particulièrement «A Chloris», très belle mélodie sur un poème de Théophile de Viau (1590-1626) et dont quelques mesures de la partie piano résonnent comme un clavecin.
Cette belle réussite doit également beaucoup à l’excellente interprétation du pianiste Pascal Jourdan, en parfaite symbiose avec notre mezzo-soprano, le mot avec la note, l’accord avec la rime…
Vous l’aurez compris, à la dernière note, on en redemande!


Christophe BERNARD
Publié le 09/11/2014 à 19:16, mis à jour le 26/01/2019 à 19:35.