Louis Aubert

Œuvres violon et piano
Louis Aubert, Œuvres pour violon et piano, Stéphanie Moraly (violon), Romain David (piano). CD Azur Classical 74’59.

Un CD Louis Aubert! – Jean-Louis Aubert, voulez-vous dire? – Non, non. Bel et bien Louis Aubert, compositeur français né à Paramé (Saint-Malo) en 1877 et décédé à Paris en 1968 dans un quasi anonymat, élève de Fauré, condisciple et ami de Ravel dont il créa les Valses nobles et sentimentales. Son nom est associé à des pages, notamment vocales, qui eurent en leur temps une belle renommée et que saluèrent les esprits les plus éminents de son temps. Ainsi à son propos évoquait-on en 1921 «l’œuvre considérable» de ce «musicien savant et doué, probe, laborieux et fécond de La Forêt bleue, des Crépuscules d’automne, de la Habanera et des Poèmes arabes». Le temps semble venu de la découvrir pleinement et d’en évaluer l’originalité et la force. Sa discographie, relativement documentée somme toute, s’enrichit aujourd’hui de ce précieux album consacré à ses œuvres pour violon et piano, dont la remarquable sonate inaugurale (1926). Le raffinement et la clarté en semblent les principales qualités, sans trace aucune d’affectation ou de mièvrerie, tant cette partition s’avère pure, directe, nette et son interprétation à l’avenant. Le Lent et très expressif par exemple sonde des profondeurs, mais avec quelle grâce, quelle dignité, quelle simplicité. Dans le dernier mouvement, l’animation curieusement fantasque des rythmes et le chatoiement des couleurs donnent à cette musique une pulsation, un élan que Stéphanie Moraly finement virtuose et Roman David énergiquement allègre mènent à train soutenu jusqu’à la pirouette finale. Le Caprice déploie les arabesques d’un violon tendrement rêveur que viennent distraire les traits enjoués d’un piano primesautier jusqu’à une cadence virtuose. La Berceuse de la suite brève (1900), toute de charme, offre à Stéphanie Moraly de délicats épanchements, dont l’Aubade de 1948 ravivera le souvenir. Un inédit la Romance pour violon et piano ajoute à la connaissance du compositeur une mélodie poétique et sentimentale interprétée avec un goût et un sens de l’équilibre très «français» que l’on retrouve dans la seconde romance plus ardente, le galant et discret Madrigal ou le secret entrelacement Sur deux noms qui conclut l’album par une autre nouveauté. Des œuvres pour piano seul s’intercalent avec bonheur entre les duos. Le triptyque de Sillages dont le troublant Socorry ouvre, malgré ses titres circonscrits, sur des paysages intérieurs et des interrogations inquiètes alors que le mouvement final passionné réfléchit les échos des précédents. Le pianiste confère à l’œuvre une juste tension entre agitation, alarme et acceptation, sans jamais s’appesantir, avec le souci constant de la mesure et de l’ordre. Les autres pages (le mystérieux Nocturne, l’exquise Valse, les espiègles Lutins) sont autant de miniatures qui témoignent d’un subtil sens de l’humour et d’un art de l’euphémisme: se dire, mais le moins fort possible, avec un maximum de pudeur, et en s’excusant d’oser déjà autant. On peut dès lors mieux comprendre que l’œuvre de Louis Aubert trop réservée n’ait pas tenté des virtuoses friands de lyrismes expressionnistes. Si on y trouve des réminiscences de Chopin, des souvenirs de Fauré, des traces de Debussy, des affinités avec Ravel, elle séduit essentiellement par la discrétion et l’élégance qui rendent cet hommage musical pour violon et piano, non seulement judicieux et utile, mais encore séduisant et pénétrant. Signalons enfin l’éclairante analyse d’Alexis Galpérine.

Jean Jordy


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Publié le 01/04/2019 à 05:55, mis à jour le 09/09/2021 à 19:45.