Théâtre du Capitole
> 25 janvier

La femme sans ombre

Photographies par Mirco Magliocca
Occasion d’une prise de rôle pour les trois cantatrices, cet opéra est magistralement servi par les solistes, le chœur et une direction tout à fait remarquable. Le chef, désormais un habitué du Capitole a conduit avec fougue et sensibilité cet opéra complexe, nouvel exemple de la coopération exemplaire de Strauss et Hofmannsthal, non exempte d’ailleurs de difficultés tant chacun défend un projet pas toujours naturellement compatible avec celui de son alter ego. Quoi qu’il en soit, on passe du rire aux larmes, ce qui se comprend dans l’ambiance délétère de l’empire austro-hongrois finissant et, résistant à une tendance qui ira en se renforçant avec la montée du nazisme, qui verrait la fin de tous les espoirs, La femme sans ombre est un conte positif, porté par l’espoir des enfants à naître qui seront les acteurs d’un monde nouveau.
Deux êtres atypiques, l’empereur un humain ouvert et sensible, époux d’une fille de magicien, stérile, parce qu’elle n’a pas d’ombre est incitée par sa nourrice à en voler une à une humaine et le choix se porte sur un couple de tisserands? Cela pourrait aboutir, mais finalement la compassion et l’amour restaura la confiance, les deux couples finissent par se retrouver, apaisés avec l’espoir d’une descendance, tandis que l’horrible nourrice qui les hait est condamnée à errer chez les humains, tout cela pour faire simple.
Strauss, avec une musique violente, intense, exprime la brutalité des sentiments de haine, de jalousie, la méchanceté, la perfidie de la nourrice, mais sait aussi dire l’amour et ce qui est le plus original dans l’œuvre, la compassion qui conduit à rejeter avec succès les malédictions.
Les voix sont superbes, Elisabeth Teige campe une Impératrice à la fois forte et fragile, sa voix subtilement modulée fait ressentir cette volonté d’être elle-même et non plus le jouet de la volonté des autres, malgré les efforts de sa diabolique Nourrice, dont Sophie Koch parvient à incarner la noirceur, alors qu’on l’a souvent aimée et appréciée dans des rôles sans maléfice, au contraire transfigurants. Le couple des tisserands (Ricarda Merbeth, Brian Mulligan), délibérément plus brut de décoffrage est également très convaincant, d’autant plus que la prestation est lourde tant vocalement que scéniquement. Le personnage de l’Empereur (Issachah Savage) plus extérieur à l’action prend finement vie. Le personnage est d’abord très hiératique, figé dans sa représentation de lui-même, pour prendre une posture plus ouverte que sa voix somptueuse rend crédible. C’est le plus petit des rôles principaux, mais il marque.
La direction est précise, très mélodique à la fois, le chef, Frank Beermann, s’imposant à une masse très importante de musiciens. Peut-être pourrait-on regretter un volume sonore un peu trop fort dans le premier tableau, supposant un très grand effort de la part des chanteurs, mais la suite montre un équilibre parfaitement harmonieux.
Une fort belle soirée, sans doute avec un brin de nostalgie pour ceux qui comme moi ont de bons souvenirs de l’ère de Nicolas Joël.

Danielle Anex-Cabanis
Publié le 05/02/2024 à 19:32, mis à jour le 11/02/2024 à 17:52.